Morin : Complexité et Connaissance
« À la différence d’un Descartes qui partait d’un principe simple de vérité, c’est-à-dire identifiant la vérité aux idées claires et distinctes, et, par là, pouvait proposer un discours de la méthode de quelques pages, je fais un très long discours à la recherche d’une méthode qui ne se révèle par aucune évidence première et doit s’élaborer dans l’effort et le risque. La mission de cette méthode est d’inviter à penser soi-même dans la complexité », Edgar Morin
Les sciences de la complexité et du chaos qui étaient confinées dans le domaine scientifique seront appliquées dans la pensée philosophique et sociologique un peu partout dans le monde avec bien sur des abus d’analogies. Ces sciences sont devenues un concept passe-partout.
Edgar Morin et Jean-Louis Le Moigne (Président du Programme Européen MCX “Modélisation de la Complexité“, www.mcxacp.org) sont les pionniers de l’introduction des sciences de la complexité en France. Ils disent combattre :
« la connaissance qui sépare, brise le complexe du monde en fragments disjoints et qui fractionne les problèmes », Morin.
Le paradigme de la pensée complexe de Morin :
– reconnaît que l’élément simple s’est désintégré.
– accepte la confrontation avec la contradiction.
– associe l’objet à son milieu et le relie à son observateur.
En 1977, Edgar Morin établira dans “La Méthode” le Paradigme de la « complexité » en 6 tomes[i] qui fait une réévaluation de la Méthode cartésienne avec la même erreur ; celle de vouloir donner une méthode avec le savoir présent. Au savoir disloquée, la Méthode de Morin donne une approche multidisciplinaire qui combine les savoirs au lieu de les isoler dans des hyperspécialisations qui « nous empêche d’avoir une vision globale de la réalité ».
« (elle) excite l’esprit à élaborer des stratégies de connaissance qui pourraient s’appliquer dans tous les domaines à condition que ceux-ci ne soient pas fragmentés et clos. ». Morin
La complexité est une organisation aux contours disjoints dans laquelle l’observateur, l’observé et l’observation forment un tout irréductible à une dualité dialectique.
Dans « la vie de la vie », Morin nous explique que son paradigme « n’explique pas, mais permet l’explication ». Ceci est vraiment confus !
Le paradigme de la pensée complexe de Morin :
– reconnaît que l’élément simple s’est désintégré.
– accepte la confrontation avec la contradiction.
– associe l’objet à son milieu et le relie à son observateur.
Morin fixe la complexité en trois axes :
– reliance : réconciliation, éthique et humanité
« il nous faut mettre en suspension le paradigme logique où l’ordre exclut le désordre et inversement où le désordre exclut l’ordre. Il nous faut concevoir une relation fondamentalement complexe, c’est-à-dire à la fois complémentaire, concurrente, antagoniste et incertaine entre ces deux notions»
– Compréhension : savoir, éducation et civilisation
« Pour progresser, les principes gouvernants la connaissance doivent être mis en cause et examinés. Dans toutes les matières universitaires, il devrait exister un enseignement consacré à l’étude de la complexité, de la spécificité. Ces questions, qui semblent aller de soi, ne sont jamais traitées et donnent lieu aux assertions les plus barbares. Nous nous heurtons alors au problème de l’incompréhension. Comment, dans ces conditions, parvenir à se comprendre d’une structure mentale à une autre ? Sans la compréhension, il n’y a pas de civilisation possible ».
– La complexité
« La pensée complexe est animée par une tension permanente entre l’aspiration à un savoir non parcellaire, non cloisonné, non réducteur et la reconnaissance de l’inachèvement et de l’incomplétude de toute connaissance», Morin
Reliance : réconciliation, éthique et humanité
“Si nous essayons de penser le fait que nous sommes des êtres à la fois physiques, biologiques, sociaux, culturels, psychiques et spirituels, il est évident que la complexité est ce qui essaie de concevoir l’articulation, l’identité et la différence de tous ces aspects, alors que la pensée simplifiante, soit disjoints ces différents aspects, soit les unifie par une réduction mutilante », Morin
La Méthode cartésienne divise et disjoint la complexité du Tout dans des parties pour mieux la résoudre. De ce fait, elle décontextualise la partie de son contexte et décapite donc l’organe de son organisme.
La Méthode de Morin fait le contraire, elle conjoint les parties dans leur contexte et restitue l’organe à son organisme. Le tout n’est pas un système, mais un Organisme.
« Les connaissances sont de plus en plus segmentées et les problèmes à résoudre sont de plus en plus complexes et globaux … La simplicité voit soit l’un, soit le multiple, mais ne peut voir que l’Un peut être en même temps Multiple. Le principe de simplicité soit sépare ce qui est lié (disjonction), soit unifie ce qui est divers (réduction) », Morin
L’objectif de la Méthode de Morin est de relier l’objet au sujet. Edgar Morin (dans son chapitre sur « Éthique de reliance ») et Michel Maffesoli[ii] vont développer une éthique de la reliance[iii] contre la rupture de lien.
«Au cœur même de la pensée complexe se situe le concept de Reliance. Le terme “ complexe ” renvoie à la notion de “ tisser ensemble ”, ‘Articuler ce qui est séparé et relier ce qui est disjoint … “Relié” est passif, “reliant” est participant, “reliance” est activant … Tout regard sur l’éthique doit percevoir que l’acte moral est un acte individuel de reliance?: reliance avec un autrui, reliance avec une communauté, avec une société et, à la limite, reliance avec l’espèce humaine », Morin, La Méthode
C’est la segmentation de la connaissance qui détruit l’humain et l’humanité qui ne se perçoivent que dans le TOUT. Seul, l’humain devient vite inhumain ! La reliance est une éthique de compréhension de notre humanité. C’est aussi et surtout un impératif intellectuel, social et moral.
«Tout regard sur l’éthique doit percevoir que l’acte moral est un acte individuel de reliance: reliance avec un autrui, reliance avec une communauté, avec une société et, à la limite, reliance avec l’espèce humaine.. La morale est un éclairage qui a besoin d’être éclairé par l’intelligence et l’intelligence est un éclairage qui a besoin d’être éclairé par la morale. L’éthique doit mobiliser l’intelligence pour affronter la complexité de la vie, du monde, de l’éthique elle-même … L’éthique doit mobiliser l’intelligence pour affronter la complexité de la vie, du monde, de l’éthique elle-même’.». Morin
L’enseignement institutionnel de l’État moderne cartésien divise les savoirs pour une Ford divisait sa chaine de montage. Edgar Morin préconise au contraire de relier les savoirs pour « enseigner la condition humaine et l’identité terrienne ». La réforme de la pensée-solidaire que préconise Morin[iv] dans le monde de l’éducation est basée sur un Savoir Complexe fondé dans la réunion des savoirs séparés grâce à :
« Il convient d’enseigner l’histoire de l’ère planétaire, qui commence avec la communication de tous les continents au XVIe siècle et de montrer comment sont devenues intersolidaires toutes les parties du monde sans pourtant occulter les oppressions et dominations qui ont ravagé l’humanité et n’ont pas disparu. »
Dans son livre, les « Sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur », Edgar Morin propose, à l’invitation de l’UNESCO, les savoirs qu’il juge nécessaires dans un enseignement capable de comprendre la complexité du monde moderne. Dans ce livre, Morin pose les jalons d’une nouvelle identité- terrestre (Terre- Patrie) qui assure la poursuite « de l’hominisation en humanisation, via l’accession à la citoyenneté terrestre ».
Benmohammed
[i] Edgar Morin, La Méthode en 6 tomes :
- 1977 (1981) : La Nature de la nature, t. 1, Paris, Le Seuil,
- 1980 (1985) : La Vie de la vie, t. 2, Paris, Le Seuil
- 1986 (1992) : La Connaissance de la connaissance, t. 3, Paris, Le Seuil
- 1991 (1995) : Les Idées : Leur habitat, leur vie, leurs mœurs, leur organisation, t. 4, Paris, Le Seuil
- 2001 (2003): L’Humanité de l’humanité : L’identité humaine, t. 5, Paris, Le Seuil
- 2004 : Éthique, t. 6, Paris, Le Seuil, coll. « Points »
[ii] M. MAFFESOLI, Le réenchantement du monde. « Une éthique pour notre temps », Paris, La Table Ronde, 2007
[iii] M. BOLLE DE BAL, La tentation communautaire. Les paradoxes de la reliance et de la contre-culture, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 1985.
[iv] Morin Edgar, Réformons la pensée, Le Monde de l’éducation, N° 252, octobre, 1998.