Photo ; Abdelmadjid Benmohammed a gauche
Abdelmadjid Benmohammed a été successivement, pendant une trentaine d’années, chercheur en génie nucléaire à la centrale nucléaire d’Aïn Ousserra, enseignant universitaire, directeur de Progenie Expert Conseil à Montréal et, finalement, président de Génie Vert Inc., une boîte spécialisée dans le génie conseil et l’engineering dans les énergies nouvelles et le développement durable au Canada. M. Benmohammed est aussi écrivain. Il a notamment publié un essai, Chaomain, aux éditions Médias Index à Alger. Dans cet entretien, il revient sur le salon Expo-Madina sur les énergies renouvelables et la problématique du développement durable prévu les 26 et 27 novembre à Alger.
Liberté : Vous organisez, les 26 et 27 novembre à Alger, Expo-Madina, un salon international dédié aux énergies renouvelables et au développement durable. Pouvez-vous revenir sommairement sur ce projet, le premier du genre ?
Abdelmadjid Benmohammed : Ce projet a été initié suite à une réflexion et un constat amer sur l’inefficacité des centaines de conférences organisées en Algérie depuis l’Indépendance et restées sans suite, c’est-à-dire une application des études universitaires dans le domaine industriel avec une innovation internationale. L’objet de ce salon est la relation université-entreprise et ensuite son lien avec ce qui se passe dans le contexte international de bouleversement dans ces nouvelles sociétés de savoir où tout est interconnecté dans le pluridisciplinaire : étude-entreprise-innovation. L’idée est de réunir ensemble les vrais acteurs : les universitaires, les entreprises et l’international (avec la diaspora).
Le rendez-vous d’Alger aborde une problématique d’actualité, en ce sens que le virage des énergies propres devient de plus en plus incontournable. Comment, selon vous, appréhender l’après-pétrole ?
Pour cela, j’ai parlé d’énergies propres qui englobent les énergies renouvelables (éolienne, hydrolienne, solaire, etc.), mais aussi des barrages hydrauliques et du gaz naturel qui sont stratégiques et surtout écologiques. L’après-pétrole est inévitable, car le pétrole est non renouvelable, polluant et devenu une dépendance à 90% de nos ressources financières.
Cette dépendance est une catastrophe à cause des chutes des prix du pétrole décidées par l’Occident et non pas par l’Opep, dont on a vu l’inefficacité au Forum du pétrole d’Alger, avec une Arabie saoudite qui inonde le marché pour combattre la Russie et l’Iran. Notre part de pétrole va aussi descendre avec nos besoins nationaux. Le Canada va inonder le marché mondial avec son gaz de schiste. La Russie, l’Arabie saoudite et l’Iran vont se livrer à une guerre des prix. L’Algérie est très vulnérable.
En matière de développement durable, l’Algérie accuse beaucoup de retard par rapport à ses voisins. Comment combler ce retard ?
Comment l’Algérie qui était à son sommet au Maghreb dans les années 1980 dans tous les domaines est descendue si bas ? Ce qui nous intéresse, c’est surtout comment reprendre notre rôle de leader, car quand l’Algérie se réveille, c’est le dragon qui se réveille et tous les économistes le disent : l’Algérie est un dragon potentiel qui sommeille. Il y a, à mon avis, trois raisons principales à notre échec. La marginalisation de notre potentiel incroyable de l’université qui est devenue une machine à délivrer des diplômes et non pas à créer de l’initiative, de l’innovation et des projets d’entreprises pour ses finissants. Le secteur de l’industrie a été détruit et avec lui toute l’expérience plusieurs décennies acquise par nos travailleurs, avec l’ouverture de notre marché sans protection à la mondialisation alors qu’on est fragile. Comment, alors, allons-nous concurrencer l’Europe à nos portes et dans nos villes ?
Dans votre appel à participation, vous évoquez des opportunités d’investissement attrayantes en Algérie. Mais en même temps, beaucoup d’investisseurs se plaignent de la bureaucratie qui plombe les bonnes volontés. Votre diagnostic s’appuie-t-il vraiment sur une expertise de terrain ?
Oui, la bureaucratie est un cauchemar en Algérie. Malgré ces frustrations, il faut des résistants fous qui refusent de voir les difficultés et qui se battent jusqu’au dernier round, soit en Algérie, soit dans la diaspora. Nous avons résisté et cette expo aura lieu, malgré tout, grâce à des personnes qui ont cru en nous et que je remercie ici, car sans elles, cette expo n’aurait jamais eu lieu.
Cette expérience est la même pour tout investisseur de la diaspora qui veut atteler l’économie de son pays à la compétition internationale. Notre diaspora implantée en Amérique du Nord peut jouer un rôle significatif comme lien avec l’université et l’entreprise algérienne.
Nous avons une grande frustration de ne pas pouvoir aider notre pays à cause de la bureaucratie dont vous parlez. Mais nous faisons abstraction de cela et nous continuons à nous battre et à être positifs surtout, car l’espoir est toujours là et des milliers de cadres honnêtes existent toujours dans toutes les institutions publiques. Nous sentons quand même une grande prise de conscience et de grandes améliorations ces dernières années.
La règle 51/49 ne constitue-t-elle pas un handicap pour attirer les investissements étrangers ?
Cette histoire de 51/49 est une grande diversion. La question est ailleurs : une clause de transfert technologique est la chose la plus importante dans un contrat avec l’international.
En effet, si vous avez la formation complète dans la conception, la production et l’exploitation du projet, cela vous assure ensuite une indépendance ; dans ce cas, ça vaut même la peine de travailler avec eux à 0%. Nous ne pouvons avoir un projet qui utilise une technologie dépassée par rapport aux concurrents.
Avec certains partenaires, nous ne faisons que du montage de milliers de composants qui leur garantissent le travail chez eux, la primauté d’un marché algérien et en plus nous les finançons ! En réalité, ils ont ici 99% et nous 1% à cause de la totalité des composants de la machine, la maintenance et la pièce détachée, et ce, à vie ! La diversification avec l’Asie et l’Amérique est un devoir.
Votre entreprise Génie Vert est basée au Québec (Canada). Envisagez-vous des échanges avec des entreprises algériennes et quelle forme prendra cette coopération ?
En tant que diaspora algérienne vivant au Canada et bénéficiant de tout le transfert technologie qu’offre ce magnifique pays, nous sommes à l’entière disposition du marché algérien pour tout partenariat et conseil stratégique de développement de l’entreprise et de la recherche. Nous voulons être le maillon de transfert du savoir technologique avec l’Algérie.
Des associations avec l’université canadienne pour nos étudiants thésards, nos professeurs et nos chefs de laboratoire peuvent se concrétiser. Nous sommes disponibles et nous avons fait ce qu’il faut faire, il reste maintenant la réaction de l’Algérie, institutions, universitaires, chercheurs et aussi et surtout citoyens de tous horizons.