Entretien de B. Bouahmed avec Abdelmadjid Benmohammed. Chercheur et écrivain
1. Votre volumineux « Chaomain » qu’on peut considérer comme une encyclopédie, retrace la tragédie humaine en six volumes (Raison, Modernité, Science, Psychologie, Nation, et Terreur) depuis l’antiquité à nos jours. Cette œuvre, sera-t-elle éditée et disponible en Algérie
J’espère. Je n’écrit pas pour un peuple déterminé, mais pour l’humanité car nous sommes une seule espèce, une seule histoire et une seule tragédie qui a un nom ; le Pouvoir voilé dans l’état national. Partout, si on observe dans les actualités ou on lit dans l’histoire, on peut voir cette tragédie.
L’objet était de comprendre surtout comment le pouvoir opère pour nous subjuguer tout ce temps, pourquoi et comment on n’est pas arrivé à se libérer de son pire ennemi; son État. Le Chaomain est l’antithèse du Prince de Machiavel ; il apprend au peuple comment se libérer !
2. « Chaomain » dézingue les ordres établis à travers l’histoire de l’humanité et fait l’apologie du chaos constructif. L’anarchisme, peut-il relier l’humain à son humanité ?
Le chaos constructif est un thème des néoconservateurs, plagiés des idéologues israéliens pour justifier leur guerre contre les Palestiniens. Les néoconservateurs de Bush voulaient aussi justifier la gestion permanente de leur guerre perpétuelle au Moyen-Orient. On gère un chaos par la guerre en Irak pour nos intérêts et on le garde surtout confiné dans les territoires du Moyen- Orient. Seulement les idéologues qui utilisaient les paradigmes des sciences de la complexité et du chaos (fractales, Cellules automates, algorithmes génétique..) ne sont pas des scientifiques pour comprendre ce qu’est la dynamique des bifurcations. On peut contrôler le chaos au début en le déviant de son parcours, mais il peut être hors contrôle s’il a atteint un seuil critique. C’est pour cela que les révolutions arabes ont échoué par le contrôle du feu en ses début. L’état algérien tente de refaire l’expérience de la contre-révolution des Égyptiens. L’erreur est de ne pas avoir continué la révolution au bout. Ce que Morsli devaient faire au sommet de sa popularité était de décapiter l’armée qui gardaient encore tout le contrôle de l’état. Il ne savait pas sûrement pas la relation d’identité entre le pouvoir et l’État. Il a agi par émotion (le pardon) et non pas par la raison (décapiter la source du chaos).
Pour l’anarchie, c’est aussi l’excuse que donne l’État, rappelez vous Ouyahia qui disait nous ou la Syrie ! Savez vous que les anarchistes se sont dissociés des communistes à cause de ce thème de l’État.
3. Vous dites dans votre ouvrage qu’à travers l’histoire, l’État est l’ennemi essentiel de l’humain qu’il est au service d’une classe élitiste et qu’il exploite et oppresse ses propres citoyens. Vous proposez comme alternative de déconstruire les Etats. Déconstruire les États ne serait-ce pas un retour à la loi de la jungle ?
On revient au thème de l’anarchie qui serait le destin d’une société sans État. Ce qui est complètement faux. Ces thèmes sont cultivés par les idéologues de la nécessité de l’État.
Hobbes pose, dans le Léviathan le principe selon lequel l’homme est un animal humain (L’homme est un loup pour l’homme.), agresseur ou agressé et vainqueur ou vaincu. Il faut donc assurer la survie de la société en instaurer l’absolutisme. Le citoyen de Hobbes est un esclave qui peut avoir ni l’envie ni la volonté ni la conscience de résister ou de se révolter. Il préfère se réfugier dans une sécurité qui ne lui a jamais ramené de paix ni interne ni externe.
Spinoza a fait rentrer la liberté de penser dans les limites des lois de l’état. Il donne les réponses classiques de sécurité de Hobbes sans toucher toutefois à la liberté d’expression.
Dans ses trois Essais sur le gouvernement civil, Locke croit dans le libéralisme comme un juste contrat social avec une règle fondée sur la majorité et non plus une autorité absolue comme chez Hobbes. Ceci, pour justifier la nouvelle révolution du libéralisme tout aussi sauvage.
Ces idéologues avaient besoin de justifier par la sécurité et aussi par la sacralisation de l’État dans une nation historique avec Renan.
Pour revenir à l’humain, il n’est pas un loup par nature, il est devenu un loup à cause de l’état qui fixe l’autorité dans les règles sociales internes et externe.
Gramsci nous explique mieux la nature du pourvoir et de l’état : « L’État est l’ensemble des activités pratiques et théoriques grâce à laquelle la classe dirigeante, non seulement, justifie et maintient sa domination, mais réussit à obtenir le consensus actif des gouvernés. »
Ceci n’est pas le lieu pour dire qu’il y a d’autres conceptions naturelles de vivre ensemble sans aucun besoin de l’État. À l’origine, les humains vivaient librement pour eux même et la nature en dehors des pensées que l’état divin a créées pour les asservir ! La Nature vie sans Ordre, le créateur de l’univers ne nous gouvernent pas. On est gouverné par notre organisme.
4. Vous appelez à la déconstruction des États que vous mettez tous dans le même sac, puisque pour vous il n’y a aucune différence entre un état et un autre et comme idéal vous proposez la réappropriation pacifique aux citoyens des fonctions de l’État. Donc, au final les fonctions de l’État, elles vont seulement changer de mains ?
Votre argument est vrai. C’est ce qui a séparé Marx de Bakounine et le communisme de l’anarchisme. Marx voulait sa révolution en trois phases :
1. Détruire l’état capitaliste
2. Installer l’État socialiste
3. Détruire l’état socialiste pour mettre le communisme
Lénine va affirmer cette volonté et exigence de détruire l’état pour sauvegarder la liberté :
« Tandis que l’Etat existe, pas de liberté ; quand régnera la liberté, il n’y aura plus d’États. », Lénine
La raison de la faillite à la phase 2 vient du fait que tout état-pouvoir va corrompre ses représentants. Les partis socialistes ont adoré le pouvoir de l’état et l’ont conforté. Les personnes des basses classes étaient heureuses de décapiter la bourgeoisie comme vengeance, mais pour prendre sa place. Bakounine avait raison sur Marx, car lui ne voulait pas de la phrase 2. L’URSS a eut sa chute, car l’État ne s’est pas régénéré avec un Parti unique à vie. Il voulait conserver le Pouvoir par l’État (partie socialiste). Ce que font nos pouvoirs en prenant, en toute illégitimité, la légitimité historique de la révolution et en conservant en main l’État pour toujours.
5. Les exemples des révolutions françaises et russes qui ont détruit leurs États et leurs Ordres établis sont là, pour nous rappeler que les révolutions ne font que changer d’utilisateurs aux États ? Aussi beaux que soient les idéaux d’une révolution, cette dernière finit par les renier. Qu’en pensez-vous ?
Exacte, seulement ces mêmes révolutions ne sont que la continuité du pouvoir qui devaient s’adapter. La révolution française est une main mise de la bourgeoisie qui a chassé le Roi pour prendre sa place ! La révolution russe est la dictature du Prince qui change dans celle du peuple. Pour dire qu’il est impossible aux peuples de se libérer sans déconstruite l’État ou tous les despotismes s’incrustent pour bénéficier de la puissance et des ressources humaines et naturelles d’un pays. Ils le font tous par la violence ou par le consentement par la peur de la violence.
6. Au regard des réalités actuelles, l’humain s’achemine t-il vers sa libération ou son extinction ?
La deuxième loi de thermodynamique nous dis que l’entropie (mesure du désordre) augmente avec le temps. En quelque sorte, si quelque chose est mauvaise et on fait rien, elle ne peut qu’empirer. On constate cela dans tous les événements que ce soit dans l’actualité ou dans l’histoire. Partout dans le monde, dans les démocraties comme dans les dictatures. Au USA, en France comme dans les pays arabes, l’instabilité est systémique. .
7. Je vous laisse conclure.
Difficile de résumer, je dirais avant que les thèmes que vous développez sur l’État sont plus analysés dans le tome 5 que je finalise sur la Nature de l’État.
Je dirais aussi que le Chaomain dans ses 6 volumes dévoile ce qu’est le pouvoir et l’état et comment le déconstruire et créer une autre vision sociale plus libre et consciente :
– Il affirme que l’Être, l’Esprit et la Société sont à la Lisière du Chaos à cause du Pouvoir personnifié par l’État et sa raison d’État.
– Il développe un Art de la Résistance contre le Pouvoir de l’État au-delà des manifestations ou des insurrections.
– Il propose un Projet de Mutation pour l’Humain, l’Humanité et la Nature.
– Il introduit le concept de la Conscience de l’Univers de toute l’humanité fondé non plus sur la religion, l’idéalisme, l’idéologie, la croyance, la raison ou la connaissance, mais sur une nouvelle conscience à concevoir.
Entretien réalisé par Boualem Bouahmed