L’explication historique d’Ibn Khaldoun sur le Maghreb entre le VIème et le XIIIème siècle peut ĂŞtre Ă©tendue jusqu’au XXème siècle (après une parenthèse coloniale). En effet, ce sont toujours des minoritĂ©s tribales qui subjuguent les populations sĂ©dentaires et règnent sur elles. Lorsque ces minoritĂ©s parvenues au pouvoir, elles s’assimilent Ă la vie urbaine, perdent leurs dynamismes et sont chassĂ©es Ă leur tour par d’autres tribus. Le cycle dure quatre gĂ©nĂ©rations :
«Celui qui a construit la gloire de la famille sait la peine que cela lui a coûté. Il conserve soigneusement les qualités qui la lui ont procurées et qui la maintiennent. Son fils après lui succède directement à son père dans cette façon d’agir car il a entendu cela de lui-même et l’a appris de lui, mais il se montre inférieur en cela à son père et cette infériorité est celle de qui a entendu parler d’une autre chose sans la pratiquer lui-même. Ensuite, lorsque vient le troisième, son rôle est surtout de suivre et de prendre modèle. Il est encore inférieur au second de la même infériorité qui frappe l’imitateur par rapport au créateur du droit. Enfin, lorsque vient le quatrième, il est totalement inférieur à ses prédécesseurs. Il a perdu les belles qualités qui ont maintenu la construction de leur gloire et même il les a méprisés. Il s’imagine que cette construction a lieu sans peines et sans efforts et que c’est une chose qui leur est due depuis le commencement, en vertu de la seule généalogie mais non en vertu de l’esprit de corps, ni à cause de belles qualités… Il s’imagine qu’elle lui est donnée par la naissance seulement. Il se place au-dessus des gens. Il se regarde comme toujours supérieurs à eux, aveuglé par l’obéissance qu’il s’est toujours vu témoigné… C’est pourquoi il les méprise. A leur tour, ils lui font la vie dure et le méprisent : ils le remplacent. Il arrive qu’une famille est ruinée en quatre générations… »,
Dans la « Muquaddima », Ibn Khaldoun définit le « Umran » ou la sociologie de la civilisation qui peut être figurée comme un Arbre selon le modèle suivant:
1- la « Badiya » les racines; c’est la sociologie de la bĂ©douinitĂ© (tribu) qui est un agrĂ©gat de plusieurs milliers d’individus. Ibn Khaldoun nous donne une ethnologie, une psychologie comparĂ©e (nomades et citadins), une gĂ©opolitique (le dĂ©sert) et une dynamique sociale la « Acabia ». Dans la phase « badiya », sĂ©vit la lutte pour existence, l’activitĂ© se limite au strict nĂ©cessaire, les mĹ“urs sont rudes, la culture absente, l’anarchie « Acabia » règne entre les groupes rivaux vouĂ©s Ă s’entre-dĂ©chirer sans fins. Le chef est un chef de guerre. Il possède une divinitĂ© protectrice et plus tard une lĂ©gitimitĂ© religieuse. La tribu descend en outre d’un mĂŞme ancĂŞtre. Avant l’existence de la tribu il y’ avait les hordes qui sont des rassemblements de centaines d’individus possĂ©dant un chef, qui est le mâle le plus fort ou le meilleur chasseur. Ce chef perd son trĂ´ne au profit d’un jeune mâle plus fort.
2 – la « Acabia » la sève; Elle parvient Ă s’imposer aux autres en les soumettant et en s’Ă©tablissant dans un milieu plus favorable, conquis sur des sĂ©dentaires plus faibles. Les sĂ©dentaires sont d’anciennes tribus qui sont passĂ©es Ă une organisation sociale supĂ©rieure en abandonnant l’Ă©tat pastoral pour l’agriculture stable. Leur stabilitĂ© a accrut la densitĂ© de leur population par la crĂ©ation des premières citĂ©s primitives.
3 – le « Mulk » la Hadara forment le tronc; c’est la philosophie politique, analysant les conditions de la souverainetĂ© tant profane (Mulk) que spirituelle (Khalifat) et proposant une dynamique des empires et une anthropologie culturelle (thĂ©orie des institutions). La Hadara ou sociologie de la citadinitĂ© traite du phĂ©nomène urbain. La Hadara vient après la sĂ©dentarisation avec des activitĂ©s de luxe. L’Ă©conomie devient monĂ©taire et le travail est divisĂ©. Les mĹ“urs changent, l’autoritĂ© de l’Ă©tat supplĂ©e au courage de l’individu, l’obĂ©issance est encouragĂ©e… La Hadara atteint le point culminant dans l’Ă©panouissement de la civilisation citadine.
4- le « Ma’ach » les branches; c’est l’Ă©conomie politique.
5 – les « Ulum » les feuilles ou les fruits; c’est la sociologie de la connaissance qui cherche Ă dresser un bilan des sciences.
Le cycle historique
« Le but de la civilisation, c’est la culture et le luxe. Une fois ce but atteint, la civilisation se gâte et décline, suivant en cela l’exemple des êtres vivants. ,» Ibn Khaldoun
Ibn Khaldoun, tĂ©moin de la chute du monde musulman, a introduit la notion de cycles. Il a expliquĂ© les conditions de naissance, d’Ă©volution et de ruine des empires. Ce système de cycle tribal est barbare, car les empires naissent et disparaissent selon un mĂ©canisme primitif ; la violence.
Ibn Khaldoun confirma sa thèse cyclique dans son Histoire universelle sur les conquêtes des Germains, Huns, Mongols, Arabes, Tartares, Turcs et berbères.
La « Badiya » forme la base d’un organisme politique primaire oĂą on voit apparaĂ®tre les premiers Ă©lĂ©ments d’une hiĂ©rarchie et d’une organisation politique dont on peut voir les influences dans les institutions politiques modernes.
L’individu interfère très peu avec la sociĂ©tĂ©. Les BĂ©douins se sont sĂ©dentarisĂ©s pour satisfaire leurs besoins, puis ont commencĂ© Ă se tourner vers le luxe et le confort. Après l’installation progressive du « Mulk », on assiste au conditionnement “behaviorisme” des personnes en les rendant passives et rĂ©ceptives Ă toutes les sollicitations. De nouveaux concepts naissent au sein de la collectivitĂ©.
Le prince va faire perdre la mĂ©moire de sa violence en cultivant une histoire historique de martyres, d’hĂ©roĂŻsme, de rĂ©volution, de civilisation, de libertĂ© et de dignitĂ© pour son bĂ©tail. Il instituera une nouvelle violence de mercenaires pour assurer sa durabilitĂ© contre « les nouveaux barbares »; tous ceux qui veulent lui enlever le pouvoir.
En effet, ce sont toujours des minorités tribales virulentes (açabiya) qui subjuguent les peuples sédentaires et règnent sur eux. Lorsque ces minorités, parvenues au pouvoir, s’assimilent à la vie urbaine, elles perdent leurs dynamismes et sont chassées par d’autres tribus.
L’explication historique d’Ibn Khaldoun sur le Maghreb entre le VIème et le XIIIème siècle peut ĂŞtre Ă©tendue jusqu’au XXème siècle (après une parenthèse coloniale).
Le cycle dure quatre générations :
«Celui qui a construit la gloire de la famille sait la peine que cela lui a coûté. Il conserve soigneusement les qualités qui la lui ont procurées et qui la maintiennent. Son fils après lui succède directement à son père dans cette façon d’agir car il a entendu cela de lui-même et l’a appris de lui, mais il se montre inférieur en cela à son père et cette infériorité est celle de qui a entendu parler d’une autre chose sans la pratiquer lui-même. Ensuite, lorsque vient le troisième, son rôle est surtout de suivre et de prendre modèle. Il est encore inférieur au second de la même infériorité qui frappe l’imitateur par rapport au créateur du droit. Enfin, lorsque vient le quatrième, il est totalement inférieur à ses prédécesseurs. Il a perdu les belles qualités qui ont maintenu la construction de leur gloire et même il les a méprisés. Il s’imagine que cette construction a lieu sans peines et sans efforts et que c’est une chose qui leur est due depuis le commencement, en vertu de la seule généalogie mais non en vertu de l’esprit de corps, ni à cause de belles qualités… Il s’imagine qu’elle lui est donnée par la naissance seulement. Il se place au-dessus des gens. Il se regarde comme toujours supérieurs à eux, aveuglé par l’obéissance qu’il s’est toujours vu témoigné… C’est pourquoi il les méprise. A leur tour, ils lui font la vie dure et le méprisent : ils le remplacent. Il arrive qu’une famille est ruinée en quatre générations… ».
La açabiya et non la religion font l’histoire :
« ni la volonté du bien, ni la religion elle-même ne saurait suffire à qui n’est pas porteur d’une forte açabiya ».
Une civilisation qui se ramollit dans la luxure de la civilité et perd sa virilité et soif de pouvoir se perd forcément.
En introduisant le cycle de vie et la açabiya, Ibn Khaldoun fut le premier penseur Ă avoir l’idĂ©e d’instabilitĂ© dans l’histoire des civilisations en ouvrant ainsi la voie Ă de nouvelles “histoires”. La question qui restait est sur la fin de ces instabilitĂ©s ; disparition ou extinction ?
A. Benmohammed, Puissance : Civilisation, Capital et Connaissance