«  Le monde est ma représentation », Schopenhauer

Schopenhauer est né le 22 février 1788 à Dantzig et mort le 21 septembre 1860 à Francfort-sur-le-Main. Il était, comme les philosophes qui l’on précédé, à la recherche de cette force qui gouverne le monde :

« Examiner la force qui produit le monde et en déterminer ainsi la nature, la relier avec la moralité des sentiments et par là prouver l’existence d’un ordre moral du monde qui serait la base de l’ordre physique — tel été depuis Socrate le problème de la philosophie »[i]

Schopenhauer est inspiré par un mélange de Platon, de Kant et des textes sacrés indiens:

« Les écrits de Kant, tout autant que les livres sacrés des hindous et de Platon, ont été, après le spectacle vivant de la nature, mes plus précieux inspirateurs »

Schopenhauer critique les idées de Fichte, Hegel et Schelling, qu’il exclut de la filiation à la pensée de Kant en arguant de leur ignorance de celle-ci et même de toute la philosophie. On peut croire ici à une jalousie de disciples de Kant et ensuite à une élévation au-dessus du maitre. Schopenhauer va épouser l’idéalisme transcendantal de Kant. Il va lui rajouter la Volonté (la chose en soi ou le noumène) :

« La volonté est inaccessible à l’entendement … L’individu n’est qu’un exemplaire, un échantillon de la volonté de vivre … Au fond de tout existe, en effet, une volonté (un vouloir-vivre), qui poussée aveugle et irrésistible, désir inextinguible de vivre, ne conduit qu’à la souffrance. »

Schopenhauer rejette à la fois « la philosophie de l’objet » (le matérialisme) et « la philosophie du sujet » (l’idéalisme). Il optera pour une morale de la nature humaine (théorie des instincts) qui va influencer Freud, Dostoïevski, Schopenhauer Tolstoï, Nietzsche, Goethe, Kierkegaard, Wagner …

Schopenhauer développe une philosophie du pessimisme : la nature fondamentale de la réalité est la souffrance et tout effort humain est finalement futile. La volonté de vivre est le moteur de toute action humaine et en même temps la source de toute souffrance. La volonté est une force irrationnelle et inconsciente qui nous pousse à rechercher le plaisir et éviter la douleur. Cet effort est futile et conduit à la souffrance.

Schopenhauer est critiqué pour sa vision pessimiste de la nature humaine et son manque d’optimisme. Il est pourtant réaliste sur la souffrance. Il donne la cause dans une critique des systèmes métaphysiques et éthiques traditionnels.

Voici un résumé de ces idéalismes allemands.

« Ainsi, il faut bien distinguer l’idéalisme subjectif de Kant et de Fichte et l’idéalisme objectif de Schelling. Ces deux sortes d’idéalisme ont cependant un caractère commun, qui est la prétention de ramener à l’unité et à l’identité, au sein de l’idée, les deux termes opposés de la connaissance, le moi et le non-moi, le subjectif et l’objectif, l’esprit et la nature, l’idéal et le réel. Mais Kant et surtout Fichte entendent par idée une forme purement subjective de notre esprit: ils nient l’existence des objets en soi, ils ramènent tout au moi et à des formes du moi. C’est le moi qui, d’après Fichte, produit le non-moi, c’est-à-dire le monde; donc, rien n’existe que dans le moi et par le moi. Voilà ce qui constitua l’idéalisme subjectif. L’idéalisme objectif de Schelling prend aussi pour point de départ la pensée. Mais cette pensée n’est plus la pensée de l’humain, forme purement subjective de notre esprit ; c’est la pensée absolue identique avec l’être absolu, d’où sortent également par deux émanations parallèles, la nature et l’esprit, le réel et l’idéal. Ainsi, cet idéalisme, en plaçant son point de départ plus haut que le moi et la pensée de l’humain, a la prétention de concilier avec l’unité de son principe le réel comme l’idéal et de rétablir la nature dans sa dignité et dans ses droits méconnus par Kant et par Fichte.’, Imago Mundi, « L’idéalisme »

Schopenhauer voit dans l’art juste un remède passager aux souffrances de la vie. Nietzche va en faire un dualisme Apollon/Dionysos. Dans le mythe grec, Dionysos est le dieu de l’ivresse, des orgies, et des forces de la nature, alors qu’Apollon est le dieu de l’illusion, des arts, du chant, de la musique, de la beauté masculine, de la poésie et de la lumière.

« Nous aurons fait un grand pas en esthétique lorsque nous serons parvenus non seulement à la conviction intellectuelle mais à la certitude intime que l’évolution de l’art est liée au dualisme de l’esprit apollinien et de l’esprit dionysiaque … Ces deux inspirations si différentes suivent un chemin parallèle; le plus souvent en conflit ouvert… jusqu’à ce qu’enfin, par un miracle métaphysique de la «volonté» hellène, ils apparaissent unis et engendrent dans cette conjonction l’œuvre d’art à la fois dionysiaque et apollinienne: la tragédie attique.», Nietzche, la naissance de la tragédie

Apollon et Dionysos, c’est le conflit entre la raison et l’ivresse de vivre qui a engendré l’Art. Nietzsche a délaissé l’aspect religieux et la tragédie grecque dans trois critiques :

1- l’idéalisme platonique qui fait de l’humain une idée, une illusion, une abstraction et un néant afin de nier la réalité.

2- l’idéalisme chrétien qui culpabilise l’humain afin d’avoir honte de ce qu’il est.

3- l’idéologie du progrès qui affirme qu’on est imparfait, alors qu’il faut s’accepter, s’affronter, et se supporter tel qu’on est.

Nietzsche énonce le lien entre la tragédie grecque, la philosophie de Schopenhauer et l’opéra wagnérien.

« J’affirme, moi, que je tiens l’art pour la tâche suprême et l’activité proprement métaphysique de cette vie, au sens où l’entend l’homme à qui j’ai voulu dédier ce livre [Wagner], comme au lutteur sublime qui m’a précédé dans cette voie… Les vibrations affectives de sa musique, les plus secrètes vagues de cette mer schopenhauérienne de sons provoquent un choc que je sens résonner en moi, si bien que mon écoute de la musique de Wagner est une jubilante intuition, une bouleversante découverte de moi-même…Le monde pourrait être appelé une incarnation de la musique tout aussi bien qu’une incarnation de la volonté. »

Schopenhauer a influencé Wagner et Nietzsche qui les deux s’attirent et se repoussent : Au début, un coup de foudre d’amitié, suivi d’une lune de miel et en fin une déchirure. Nietzche se détache de Wagner, mais jamais de l’Art et de “la volonté de vivre” de Schopenhauer qu’il va transformer dans une “volonté de puissance” dont on sait l’influence dans la pensée occidentale.

[i]       SCHOPENHAUER, critique de la philosophie kantienne, Le Monde comme Volonté et comme Représentation, Paris, PUF, 2014